Poesia FRA

Dulce et decorum est.

Pliés en deux comme de vieux mendiants sous leur sac,
Cagneux, toussant comme des vielles, nous jurions dans la fange,
Quand enfin nous tournâmes le dos aux éclairantes.
Nous avions pris la longue route de notre lointain repos.
Les hommes marchaient endormis. Beaucoup allaient sans chaussures.
Avançaient en boitant, les pieds en sang. Tous estropiés, aveuglés,
Saoul de fatigue, sourds même aux huhulements
Des 5.9 lents, dépassés, qui tombaient derrière eux.
Gaz ! Gaz ! Vite, les gars ! En panique on déballe,
On passe juste à temps les masques encombrants….
Mais quelqu’un hurle encore, titube,
Se débat tel un homme dans le feu et la chaux….
Forme vague derrière les verres troubles, l’épaisse lueur verte,
Comme au fond d’une mer je le vis se noyer.
Dans tous mes rêves, sous mes yeux impuissants,
Il s’écroule à mes pieds, crache, suffoque, se noie.
Si toi aussi, dans tes cauchemars, tu pouvais suivre
La charrette dans laquelle on jeta
Et voir ses yeux blancs rouler dans sa face,
Sa face pendante, comme d’un démon malade de son péché,
Si toi aussi, à chaque cahot tu pouvais entendre
Le sang couler à gros bouillons de ses poumons rongés,
Obscène tel un cancer, amer comme le pus
de plaies atroces et incurables sur des langues innocentes-
– Alors, mon ami, tu ne raconterais plus avec tant d’allant
A des enfants avides de gloire désespérée
Ce vieux mensonge: Dulce et decorum est
pro patria mori.

Wilfred Owen

Dulce et décorum est pro patria mori (il est doux et honorable de mourir pour sa patrie) est une exhortation latine tirée d’un poème d’Horace. Ce texte est bien connu et souvent cité par les partisans de la Première Guerre mondiale, au moins à ses débuts. Le poète Wilfred Owen en relatant les horreurs du conflit le qualifie de vieux mensonge. Quelques années après nous retrouvons la même citation d’Horace dans la propagande à la gloire du régime fasciste.